La loi 21 et le modèle d’autorité québécois

Lorsqu’on écoute les débats sur la loi 21, lorsqu’on lit des articles écrits à ce sujet, une chose me frappe. Bien que la loi mentionne spécifiquement les fonctionnaires en position d’autorité, on passe très vite sur le concept d’autorité. Pour moi c’est surprenant, car je crois que ce concept est au coeur du conflit. À la base, le Québec et le reste du Canada n’en ont pas le même modèle.

Le modèle d’autorité opérant au Québec, la conception même de ce qu’elle doit être et à quoi s’attendre d’elle, vient du modèle qui prévalait en Europe continentale. C’est un modèle où l’autorité dite temporelle, le Roi, devait composer avec l’autorité spirituelle du pape (qui lève aussi un impôt, bat sa propre monnaie et a sa propre armée, les trois pouvoirs régaliens).

Comme le Roi doit composer avec un contre-pouvoir extérieur, une relation se crée entre lui et son peuple. Il lui est redevable et est normé par un élément terrestre (non divin) extérieur. Il doit parfois faire des concessions, être juste avec lui et faire prospérer son royaume. Des considérations stratégiques réelles sont liées à cet équilibre. Ce modèle de contre-pouvoir a prévalu dans la plupart des pays européens et est peut-être le véritable ciment de l’Europe, s’il en est un.

Le modèle d’autorité anglo-saxon et sa conception de la justice naîtront des mêmes pouvoirs temporel et spirituel mais l’histoire n’y est pas la même. En 1531, Henri VIII, après le refus du pape Clément VII d’annuler son mariage dans la poursuite d’un héritier (entre autres), obtient du clergé d’Angleterre la reconnaissance comme chef suprême de l’Église d’Angleterre.

À partir de cette date, la notion de contre-pouvoir disparaît en Angleterre. Se considérant désignée par Dieu lui-même pour régner et n’ayant aucun contrôle terrestre, l’autorité anglo-saxonne opère dans un mode de domination de ses sujets. Elle n’est pas sujette aux désirs ou même aux besoins de la population.

La notion de justice en Angleterre est, dès ses débuts, strictement une affaire de classes privilégiées, et les droits individuels n’auront donc pas à y évoluer dans une logique de cohabitation avec les autres et de facilitation de la vie sociale mais plutôt comme une bulle d’invincibilité offerte aux plus puissants contre les abus du roi: premièrement le clergé et les barons, ensuite les marchands et après Cromwell, l’élite financière.

C’est ce modèle d’autorité qui est opérant au Canada. Et cela est évident lorsqu’on examine les réactions à la loi 21.

Comme au Québec notre modèle entend qu’une saine autorité s’adapte à ceux qui sont sous son pouvoir, il est normal pour nous de voir l’autorité se plier à certaines règles. De plus, comme les droits individuels au Québec se conjuguent au droits collectifs nécessaires au bon fonctionnement de la société, ils ne sont pas absolus.

Pour prendre un exemple grossier (mes favoris!), les droits de la personne au Québec couvrent son intégrité. On ne peut pas y attenter en blessant physiquement, en harcelant, etc. On n’a pas le droit non plus de déféquer sur personne. Une poursuite pourrait être intentée.

Cepandant, si vous vous trouviez dans une salle devant tous les juges de la Cour Suprême, le PM du Canada, du Québec, le chef de la SQ et qu’un bambin, que vous êtes en train de changer, vous giclait un serpent brun de 5 litres au visage, ils vous poseront certainement la question : « Êtes vous le parent !? »

Dans l’affirmative, tout le monde rira de bon coeur! Mais pourquoi !!?? Parce que même si vous avez le droit de ne pas vous faire déféquer dessus, tout le monde sait que vous perdez ce droit lorsque vous devenez parent.

Parce que les parents sont l’autorité. Et l’autorité fait ce qu’elle a à faire pour ses sujets, sans rechigner. Les personnes qui n’acceptent pas cet ordre des choses ne devraient pas avoir d’enfants.

Ainsi, dans une cour de justice avec la loi 21, ce n’est pas que le juge est spolié de sa « bulle d’invincibilité universelle ». C’est que dans cette salle, les parties sont les personnes en position de soumission et le juge, étant en position d’autorité, abdique momentanément ses droits pour permettre au droit à la laïcité des parties de s’appliquer. Comme le ferait un parent qui change son enfant. C’est le choix qu’on fait lorsqu’on devient juge et les personnes qui ne peuvent pas accepter cet ordre des choses ne devraient pas devenir juge.

C’est aussi le choix qu’on fait lorsqu’on devient policier. En enfilant l’uniforme, on accepte de faire passer le besoin de confiance et de facilité d’identification dans une intervention devant son expression personnelle.

En devenant professeur, on utilise sa propre opinion, ses propres idées, ses propres convictions, sa propre expression personnelle pour susciter le développement de celles de l’enfant et lui offrir toute la place dont il a besoin pour les construire.

Ces positions nécessitent de l’abnégation.

Et c’est précisément cette abnégation qui est incompatible avec les conceptions anglo-saxonnes d’autorité mais aussi de justice. Les droits y ayant été développés strictement dans une logique protégeant les intérêts personnels des plus puissants, ils ne sont donc pas orientés vers un bon fonctionnement social et il n’y existe aucun droit collectif.

Non seulement ce n’est pas le nôtre, mais ce modèle d’autorité est malsain.

Et c’est ce que j’aimerais que les opposants à la loi 21, comme la tête de la FAE, voient.

La raison derrière l’appui de la majorité des québécois à la loi 21 est que nous considérons qu’exercer un rôle d’autorité implique l’abnégation de certains droits et que le bien-être des individus est en relation avec le bien-être de leur groupe. Nous ne sommes pas des tigres du Bengale. Aucun humain ne survit à l’extérieur du groupe.

Lorsque j’écoute les arguments contre la loi sur la laïcité, jamais on ne mentionne dans les arguments une interaction quelconque avec les autres personne présentes. Aucune allusion aux parties pour le juge, à l’intimé pour le policier ou aux enfants pour les profs. Pour moi, ça hurle égocentrisme! Je n’y vois qu’un je-me-moi juvénile et fonctionnellement absurde en société.

Qu’est-ce qui arrive avec la charte des droits québécoise dans tout ça? La charte, comme tout ce qui a été fait par les humains, n’est pas parfaite. Nous devons la mettre à jour pour y intégrer les droits collectifs.